dimanche 10 juin 2012

La Deuxième Sonate pour piano de Rachmaninov

Voici sans doute la plus grande, la plus belle sonate romantique russe pour le piano.
Elle a été écrite de janvier à aout 1913, créée le 13 décembre 1913 par le compositeur, qui était aussi un immense pianiste. L'œuvre est plus concentrée et plus contrastée que la Première Sonate, de six ans antérieure. Elle associe à merveille virtuosité et lyrisme. C’est un passage obligé pour tout pianiste russe qui se respecte
Mais le pouvoir d’attraction de cette sonate dépasse les frontières de la Russie. Outre une discographie pléthorique, il faut compter avec des textes différents d’une interprétation à l’autre : version originale de 1913, version de 1931 révisée par Rachmaninov, version Horowitz, versions "hybrides" entre l’originale et celles de 1931. Pas de panique ! Nous allons essayer de vous défricher la taïga.


Version originale de 1913
Il faut absolument connaître cette  première mouture. Complexe et foisonnante d'idées mélodiques, elle respire une grande liberté. Elle est aussi plus sombre et plus ambiguë que la version de 1931.

Yakov Kasman (1998)  êêêê ²²²
A l'affût des moindres détails, le pianiste russe sculpte la matière musicale avec une science confondante. Il accuse les contrastes, se joue des nuances sans jamais se perdre dans les méandres de la partition. La maîtrise du son, la beauté du toucher forcent l'admiration. Les moyens techniques sont au service d'une belle sensibilité. C'est tout simplement magnifique. Ecouter plages 4 à 6

Vladimir Ashkenazy (1974)  êêê ²²
Grand interprète de Rachmaninov, au piano comme à l'orchestre, Ashkenazy a cette musique dans le sang. Ce piano chante, respire, murmure. L'émotion est à fleur de peau. Le second mouvement est beau à en pleurer. On oublie la virtuosité, on se laisser porter. La prise de son terne et compacte n'est pas à la mesure de cet immense artiste. Dommage. Ecouter Vol 2 plages 10 à 12


Version révisée de 1931 et version Horowitz
L'œuvre gagne en concision et en cohérence ce qu'elle perd en spontanéité. Elle est aussi plus brillante et implacable (3ème mouvement).

Vladimir Horowitz (en concert à Carnegie hall, 1968)  êêêê ²²
Horowitz, qui a connu personnellement le compositeur, était un phénomène de virtuosité autant qu'un artiste inspiré. Il apporta à la mouture de 1931 ses propres modifications, approuvées par le compositeur.
Cette prestation de concert donne à entendre les plus grands écarts dynamiques que l'on puisse imaginer. La maîtrise du discours, de la narration va de paire avec un lyrisme, une générosité sans borne. Autant le dire, on tient ici la transcendance, sans qu'il soit besoin de se demander si Rachmaninov aurait apprécié ou non cette folie. 

Vladimir Horowitz (en concert, 1980)  êêê ²
Douze ans plus tard, Horowitz va encore plus loin dans l'exacerbation des contrastes. Le lyrisme est devenu fébrile. Le pianiste semble aller au plus profond de la partition pour en découvrir le sens caché. Mais il y a d'autres mystères dans cet enregistrement. Est-ce bien un piano que l'on entend ? Le preneur de son avait-il fumé un joint ce soir-là ? Ecouter plages 4 à 6

Hélène Grimaud (1985)  êêê ²²²
La jeune aixoise, elle avait alors seize ans, commençait  à faire parler d'elle. La capacité à exprimer sans montrer, la fluidité de son jeu, une certaine simplicité; tout cela étonne chez une adolescente. A moins que ce soit la rigueur de l'enseignement musical. Un trait nous frappe particulièrement : le thème principal du second mouvement, où le chant s'épanouit malgré une allure assez rapide. Preuve que l'on peut capter l'émotion sans étirer les tempi. Ecouter plages 4 à 6

Anna Vinnitskaya (2009)  êêê ²²²²
A l'évidence, cette jeune pianiste russe sait où elle va lorsqu'elle attaque les premiers accords. La construction est sans faille, la technique au service de l'expression. Le style est altier, aristocratique même. Mais la noblesse va bien à cette sonate. Les notes galbées, la fermeté du trait témoignent du niveau de concentration de l'artiste. C'est du grand, du très beau piano, qui occupe tout l'espace sonore. Prise de son superlative. Ecouter plages 1 à 3

Nikolai Lugansky (1993)  êê ²²²
Prendre par la main l'auditeur, flâner, musarder, lui montrer que la 2ème Sonate n'est pas un déluge de notes, Fort bien. Le parti pris est pertinent et aboutit à une belle construction, fluide et aérée. Mais pourquoi tant de manières, de coquetteries ? L'oeuvre est bien assez riche pour ne pas en rajouter.


Version hybride entre celle de 1913 et celle de 1931

Nikolai Lugansky (2012)  ê  ²²²
Pour son second enregistrement, Lugansky propose un "mix" des versions de 1913 et 1931. La superbe construction de l’allegro initial est de très bon augure. Las ! Le pianiste enferme les second et troisième mouvements dans une rigueur expressive qui casse tout l’élan lyrique, le panache. Lugansky s'inscrit dans un courant de pensée qui prône la sobriété et réfute toute générosité dans l’interprétation de Rachmaninov. 


Les deux versions de référence




1 commentaire: